Pour qui tient à faire à Rome comme les Romains, palinka et rakia sont des incontournables. Bien plus que de simples eaux-de-vie, l’alcool national hongrois et l’alcool national bulgare reflètent l’âme de leurs peuples respectifs.
Partager un verre de palinka ou un verre de rakia, ce n’est en effet pas seulement partager un moment de convivialité. C’est s’inscrire dans une tradition, un folklore, une histoire, chacun de ces deux breuvages encapsulant à sa manière une part de la mémoire collective.
Palinka et rakia cultivent ainsi bon nombre de points communs… ainsi que bon nombre de différences. Comparer les deux n’est donc pas sans intérêt, d’autant plus si cela permet aux plus novices d’éviter, ô sacrilège, de les confondre.
Origines, méthodes de fabrication, goût, rituels de dégustation, folklore… Palinka contre rakia, le match c’est maintenant !
Des origines médiévales !

La légende veut que la première palinka fut produite pour la reine Élisabeth de Hongrie au 14e siècle. Il faudra cependant attendre le 17e siècle pour que le mot palinka, un dérivé du slave « páliť » (bruler, distiller), se diffuse dans le langage courant. La popularité de la palinka fut ensuite telle, qu’en 1850, le gouvernement hongrois instaura un monopole sur la production sur ce « café des pauvres ».
Ironie du sort, en 2013, ce même gouvernement hongrois s’opposa farouchement au projet de taxes de l’Union européenne sur les alcools artisanaux. « Hors de question de foutre une taxe sur la palinka » déclara alors le ministre de l’Agriculture.
La rakia (ou « rakija », du mot turc « raki » qui signifie « boisson alcoolisée forte ») puise elle-aussi ses racines au Moyen Âge. Mais plus loin encore : en 2015, des archéologues bulgares ont découvert un fragment d’un récipient à distiller la rakia datant du 11e siècle !
La paternité de la rakia ne revient toutefois pas exclusivement à la Bulagrie. Immensément populaire dans tout les Balkans, la rakia est également revendiquée « boisson nationale » en Serbie, au Monténégro ou en Croatie – chacun s’attribuant bien entendu le titre de meilleure variante.
La Bulgarie est néanmoins le seul pays à avoir entrepris des démarches au niveau européen pour la faire reconnaître officiellement comme sienne.
Les méthodes de fabrication : standardisation contre artisanat

La production de palinka est rigoureusement encadrée. Outre le fait d’être protégé depuis 2004 par un statut d’appellation d’origine protégée édictée par l’Union européenne, le gouvernement hongrois a en sus voté une loi en 2008 pour préciser chaque étape de sa fabrication.
Ainsi, la législation stipule que la pálinka ne peut être produite que dans huit régions en Hongrie (et quatre länders autrichiens), seulement à partir de fruits récoltés dans ces mêmes régions. L’usage du sucre ou d’arômes artificiels est interdit. Le brassage, la fermentation, la distillation, le vieillissement et la mise en bouteille doivent également avoir tous lieu dans ces territoires.
Seule le nombre de fois où la palinka est distillée est laissé à la discrétion du producteur.
À l’opposé, la rakia est très souvent produite artisanalement. L’adage veut d’ailleurs que dans chaque village, chaque famille concocte sa propre recette – raison pour laquelle les alambics en cuivre nécessaires à la distillation font très souvent partie du mobilier de jardin !
Généralement à base de prunes (quand bien même raisins, pêches, abricots, pommes, figues ou coings peuvent aussi faire l’affaire), la rakia est distillée pendant deux à trois semaines, avant d’être mélangée à d’autres ingrédients comme le miel, diverses herbes, des griottes ou des noix.
L’apparence : transparentes mais pas tout le temps

Claire comme de l’eau, la palinka peut légèrement varier de teinte en fonction du fruit à partir duquel elle est fabriquée. Par exemple, la palinka de prune peut prendre une coloration jaune pâle, tandis que la palinka de cerise ou de mûre peut virer au rougeâtre. La palinka peut également avoir des reflets ambrés lorsqu’elle est vieillie en fût de bois.
Idem pour la rakia. Jeune, elle est limpide. Vieillie, elle se dore. L’ajout de miel ou d’herbes peut néanmoins modifier sa teinte.
Le degré d’alcool : ça chauffe !

Officiellement, le taux d’alcool de la palinka doit est compris entre 37,5°… et 86° !
Cet écart allant du simple au double s’explique par la volonté des autorités de limiter la production de palinkas de contrebande. Surnommées « les défonceuses de barrières » (« kerítés szaggató »), ces dernières peuvent contenir du méthanol, un poison susceptible de rendre aveugle ou tuer.
Rassurez-vous, dans les bars et restaurants, il vous sera servi une palinka autour des 45°.
Avec un degré d’alcool oscillant entre 40° et 50 °, la rakia rivalise en puissance de feu, d’autant que là aussi ce ne sont pas les versions frelatées qui manquent. Une rakia artisanale peut facilement atteindre les 70°.
Gare donc aux villageois bulgares qui vous proposent leur production maison tout sourire. À l’impression de boire un solvant industriel s’ajoutent des conséquences qui peuvent être fatales : le 27 décembre 2022, cinq bulgares vivant dans les montagnes ont trouvé la mort, foudroyés par une rakia coupée aux colorants et au parfum.
L’arôme : finesse contre robustesse

Capitalisant sur la richesse de la fruiterie hongroise (le climat est tempéré et le printemps dure longtemps, c’est ce qui permet aux fruits de mûrir à point) et sa diversité (myrtilles, fraises, cranberries, abricots…), la palinka se veut chaleureuse et longue ne bouche.
Empreinte de notes sucrées et florales, elle rivalise avec les eaux-de-vie françaises en termes de complexité et d’arômes.
Plus franche et plus vive (parce que distillée qu’une seule fois), la rakia chauffe le palais à la première gorgée avant de diffuser ses saveurs dans la poitrine.
Les palais les plus sensibles lui préfèreront une rakia vieillie en fûts, plus ronde.
Les rituels de dégustation : où, quand, comment et avec qui ?

Dans une brochure publiée en 2013 par le gouvernement hongrois intitulée Palinkapedia, l’eau-de-vie magyar y était présentée comme « un véritable ami avec qui l’on peut partager ses joies et ses peines ».
Bon attention, il ne s’agit pas d’en boire seul dans son coin. Bien au contraire. Indissociable des grandes fêtes et cérémonies qui rythment la vie des Hongrois (mariages, baptêmes, anniversaires…), la palinka vient renforcer les liens entre amis et membres de la famille.
Servie à température ambiante (18–20 °C) à l’apéritif ou en guise de digestif, elle se boit de préférence dans un petit verre en forme de tulipe afin de concentrer les arômes. Elle se savoure alors lentement par petites gorgées… et absolument pas en shot comme le proposent certains bars pour touristes.
Pour ce qui est de la rakia, il n’y a tout simplement pas d’heure pour en boire !
Des cérémonies de mariage aux enterrements en passant par les anniversaires, les remises de diplômes et les messes (à la place du vin !), elle rythme à la fois le quotidien et les grandes étapes de la vie.
Ou pour citer le professeur d’anthropologie Përparim Kabo : « La rakia est un symbole d’hospitalité, de partage avec autrui. On peut même dire qu’elle a une fonction quasi spirituelle. »
À table, elle se boit généralement en apéritif ou en entrée (avec de la salade chopska, une soupe froide de concombre au yaourt ou des légumes au vinaigre), voire, pour les plus vaillants, tout au long du repas !
Servie fraîche (10–14 °C) dans un petit verre droit, elle peut aussi se boire chaude en hiver, adoucie par un peu de miel ou de sucre.
Palinka contre rakia : le verdict

De tempéraments similaires sans être identiques, palinka et rakia n’ont pas vocation à diviser les amateurs de spiritueux. Chacun de ces deux alcools mérite d’être savouré, avec modération, mais surtout avec considération.
Plus encore que ce qu’il y a dans votre verre, ce sont les personnes avec qui vous le partager qui comptent vraiment.
Santé ! Egészségedre ! Nazdrave !